En janvier, j’ai partagé avec vous 3 lectures qui m’ont marquées. Des lectures qui m’ont fait avancer, et que je conseille régulièrement car elles ont un impact fort sur ceux et celles qui les lisent. Je vous propose trois nouveaux livres qui ont changé ma vision du travail et de la souffrance au travail. Les 3 livres ont été écrits par Christophe Dejours, qui a nourri ma propre approche de l’accompagnement des salariés et managers en entreprise : « Souffrance en France », « Le choix » et « Conjurer la violence ».
Souffrance au travail, « C’est la faute du patron ! »
J’ai approfondi l’approche de C. Dejours, grâce à son livre « Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale. »
En tant que salariée, j’ai côtoyé beaucoup de collègues en souffrance au travail et en tant qu’accompagnatrice j’ai rencontré beaucoup de personnes également au souffrance. Je me suis questionnée, pour comprendre les raisons de la montée de la souffrance au travail.
Il existait des approches très polarisées : » C’est la faute du patron », ou « c’est le salarié qui est fragile ». C’était l’un ou l’autre. Mais moi, je n’étais pas satisfaite de cette approche là, car beaucoup trop manichéenne. J’avais l’intuition que la relation au travail était plus complexe.
Qui est Christophe Dejours ?
Psychiatre et psychanalyste, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Christophe Dejours dirige l’équipe de recherche « Psycho dynamique du travail et de l’action ». Ses thèmes de prédilection sont l’écart entre travail prescrit et réel, les mécanismes de défense contre la souffrance, la souffrance éthique ou bien encore la reconnaissance du travail et du travailleur.
La découverte de la psycho dynamique du travail
J’ai découvert Marie Pezé dans le documentaire, » Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. » (2006). M. Pezé parlait de Dejours, et a monté le la première consultation de « souffrance et travail ». L’approche était plus riche et plus complexe pour m’aider à appréhender les situations que je rencontrais.
Et donc, je me suis intéressée à la psycho dynamique du travail, et à l’approche de Christophe Dejours. Il avait monté une chaire de psycho dynamique du travail, au CNAM. Je me suis inscrite au séminaire qu’il proposait.
Ce que je trouvais intéressant, c’est qu’il a créé son approche en partant de la psychopathologie du travail. Il y a une cause, un facteur de risque, qui va déclencher une maladie, par exemple les Troubles Musculo Squelettiques (TMS). Selon C. Dejours tout le monde ne développera pas une maladie. Il a donc pris les éléments dans l’autre sens. Tout le monde est exposé aux mêmes risques, et pourtant certains ne développent pas la maladie. Il y a des causes physiologiques, mais Dejours émet l’hypothèse qu’il n’y a pas que cela en jeu.
La question que soulève C. Dejours est : Pourquoi certaines personnes exposées aux mêmes facteurs, ne développent pas la maladie ?
Je trouvais ce questionnement très pertinent. En effet, j’ai travaillé dans un contexte professionnel extrêmement pathogène, et pourtant je n’ai pas développé de Burn out. Pourquoi, moi, comme d’autres, nous n’avons pas développé cette maladie ?
3 livres, 3 approches de la souffrance au travail.
Souffrance en France
Dans son livre Souffrance en France. La banalisation de la justice sociale, Christophe Dejours relate la souffrance des Français.
Les Français souffrent mais ne le disent pas. Comment faisons-nous pour tolérer le sort des chômeurs et des nouveaux pauvres ? Et comment parvenons-nous à accepter sans protester des contraintes de travail toujours plus dures, tous nous savons pourtant qu’elles mettent en danger notre intégrité mentale et physique ?
Le choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité.
Dans le livre Le choix, Souffrir au travail n’est pas une fatalité, Christophe Dejours écrit que nous avons le choix. Maintenir des méthodes gestionnaires qui détruisent les êtres humains et avec eux, une partie de la valeur, ou reconnaître la place essentielle de la subjectivité dans les activités de production, en particulier dans les services et répondre, d’un même geste à la souffrance psychique et à la crise économique.
Conjurer la violence.
Dans son livre, Conjurer la violence. Travail, violence et santé, Christophe Dejours se questionne.
Dans les écoles, chez les policiers ou les travailleurs sociaux, dans les usines ou les bureaux, chez les jeunes en situation de non-emploi, partout l’on assiste à une aggravation de la violence. Comment se déclenche-t-elle ? Quel sens lui donner ? Peut-on la conjurer ? Issue des travaux de la commission « Violence, travail, emploi, santé », dirigée par Christophe Dejours, ce livre montre à quel point l’organisation du travail est en cause dans la genèse de la violence sociale et propose des voix d’action à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise pour améliorer le « vivre ensemble ».
Un des concepts de C. Dejours, les stratégies de défense collective et individuelle.
Cette approche m’a proposé une grille de lecture, de la réalité que je vivais.
Les salariés face à des ordres contradictoires ou de non sens, vont élaborer des stratégies pour se protéger face à l’absurdité : l’ironie, la fuite, le déni, l’humour.
Le concept de base de Dejours est la centralité du travail dans la vie de l’individu. Ce ne sont pas les conditions de travail toutes seules qui vont dégrader la relation au travail. Il y a les risques liés au travail, qui peuvent impacter la personne, et il y a la personne en fonction de son histoire, de ses besoins, qui elle, va être impactée ou pas, et donc faire en sorte de se protéger ou non.
C’est la rencontre entre une histoire individuelle et une organisation de travail.
A partir de là, il y a autant de combinaisons possibles que d’humains. C. Dejours explique que l’on est dans la double centralité dans la relation de l’individu à son travail.
Je rapproche cette vision de double centralité, à l’approche centrée sur la personne. Associée à la vision de Carl Rogers, et l’écoute active, cela m’ouvre des pistes de compréhension que je vais proposer aux personnes que j’accompagne. C. Dejours parle du réel du travail qui est incorporé dans le corps de la personne.
Je trouve que C. Dejours a une approche complexe, mais d’une richesse inouïe. Sur le terrain, je garde à l’esprit que la situation est beaucoup moins simple que ce l’on m’en dit.
L’écoute active me permet d’aborder la complexité d’une personne et de sa relation au travail, sans apriori, sans jugement, en toute neutralité. Chacun a raison, et chacun a tort finalement. Chacun a sa part de responsabilité dans sa relation au travail, que celle-ci soit sereine ou dégradée. Que l’on soit manager ou salarié.
Selon C. Dejours, la psycho dynamique du travail c’est l’étude du rapport entre l’intra subjectif et l’inter subjectif au travail. « Qu’est ce que j’amène au travail, qu’est ce que le travail m’apporte? ». Qu’est ce que le travail m’apporte? Pas mon manager, mais bien le travail. Je transforme le travail. Le travail me transforme.
Le travail est ce par quoi je me confronte au monde, à la résistance du réel, et me transforme.
Christophe Dejours
Il y a donc des stratégies de défense mais aussi des formes de reconnaissance.
Les stratégies de défense permettent de comprendre des comportements qui ont l’air un peu déconnectés (déni de violence, déni de danger).
Et il y a trois formes de reconnaissance, par le jugement porté sur le travail qui est fait.
- Le jugement d’utilité : quel est le sens de mon travail ?
- Celui de beauté : le travail bien fait. Par exemple les soignants qui n’ont plus les moyens et le temps de bien faire leur travail.
- Et le jugement par les pairs : reconnaissance par ses collègues.
En conclusion, la psycho dynamique du travail est une approche riche pour appréhender le monde du travail aujourd’hui, dans ses aspects pathogènes comme constructifs. On travaille avec son corps (la force), avec son coeur (ses émotions) et avec sa tête (intelligence).
J’accompagne, dans mon cabinet Matangi, des femmes et des hommes à se questionner dans leur relation au travail et à apaiser leurs tourments. Des femmes et des hommes qui mobilisent leurs corps, leurs émotions et leurs têtes au service d’un collectif de travail.
À bientôt, dans un prochain article pour partager avec vous ma vision du monde du travail, et des personnes qui le composent.